Le cacao, un nouvel or noir ?
Les premiers signes ont fait leur apparition à la fin de l'année dernière et n’ont fait que se confirmer début 2024 : le monde est plongé dans la plus grande crise du cacao qu’il n’ait jamais connue et les prix explosent. Comment en est-on arrivé là et qui en est responsable ? Quelles en sont par ailleurs les conséquences pour notre gourmandise préférée, le chocolat ? Il n'est pas facile de répondre à ces questions car beaucoup d’éléments entrent en jeu. Nous allons revenir aux origines de cette crise et tâcher de vous expliquer ce à quoi nous et vous en tant que clients devons nous attendre.
Une crise qui prend de l’ampleur
En décembre 2023 déjà, certains médias spécialisés avaient pour la première fois évoqué les mauvaises récoltes de cacao en Afrique et les hausses de prix. Dans les deux principaux pays producteurs de cacao dans le monde, la Côte d’Ivoire et le Ghana, qui totalisent à eux deux plus de 60 % de la production, des pluies excessives survenues avant les principales récoltes d’automne ont fait pourrir de nombreuses cabosses (le fruit du cacaoyer) et se développer des maladies fongiques sur une grande partie des arbres.
Alors qu’au début, on ne s’inquiétait encore que de la hausse du prix des chocolats pour les fêtes de fin d’année à venir, la crise a pris une tout autre ampleur au début de l’année 2024. Des fabricants de chocolat figurant parmi les leaders du marché ont très vite mis en place une stratégie d’achat massif anticipé de fèves de cacao. Résultat : le cours mondial du cacao brut a explosé à partir de février pour atteindre des sommets historiques, éclipsant rapidement la crise de 1974, la plus grande qu’avait connue le cacao jusqu’alors. Le 30 avril 2024, la tonne de cacao atteignait une valeur historique avec un prix exorbitant de 10 990 dollars US, soit une augmentation de plus de 367 % par rapport à l’année précédente. Même si les prix ont heureusement quelque peu baissé depuis, il semble aujourd’hui évident que l’on ne parle plus simplement du prix des chocolats de Noël mais bel et bien de la survie d’un secteur tout entier.
Il est à présent urgent d’avoir de bonnes récoltes pour que la situation puisse commencer à s’améliorer. Mais les signes avant-coureurs sont malheureusement loin d’être favorables.
Le cacao et le dérèglement climatique
Le réchauffement climatique est bien entendu un facteur de stress incontrôlable pour l’ensemble de la production du cacao. Aujourd’hui omniprésent et largement perceptible sous nos latitudes, il constitue depuis longtemps déjà une réalité et une menace quotidienne dans les pays du Sud. Les modifications climatiques sont particulièrement perceptibles à proximité de l’équateur, où il fait de plus en plus chaud et où l’eau se fait de plus en plus rare. Les écosystèmes fragiles des forêts tropicales proches de l’équateur sont de plus en plus menacés – et c’est précisément ici que poussent les cacaoyers. Ici et pas ailleurs. Ces arbres sont en effet très délicats et ne portent des fruits qu’à proximité de l’équateur. Découvrez à ce sujet notre article « Le cacaoyer – une diva tropicale ».
Et comme si cela ne suffisait pas, d’autres phénomènes météorologiques qui ne sont pas directement liés au changement climatique peuvent encore aggraver la situation dans les pays tropicaux, comme en ce moment le phénomène El Niño.
Le cacao et El Niño
Le phénomène météorologique El Niño se produit à intervalles réguliers dans l’océan Pacifique. Les répercussions du changement climatique sur ce courant chaud font encore l’objet de recherches. Mais ce qui est clair, c’est que la modification des courants marins dans le Pacifique entraîne une série d’évènements climatiques qui ont une influence sur de très nombreuses régions du monde. Que ce soit au travers de périodes de sécheresse massive, comme actuellement en Amazonie, de tempêtes ou de pluies diluviennes, El Niño bouleverse les conditions météorologiques dans le monde entier. Les pays d’Amérique latine, où l’on cultive beaucoup de cacao, figurent également parmi les plus touchés. Les tempêtes et autres évènements extrêmes y détruisent régulièrement de vastes étendues d’arbres.
Une culture du cacao trop intensive et en monoculture
Afin de pouvoir satisfaire la demande mondiale croissante en cacao, la culture autrefois conventionnelle du cacao s’est transformée en monoculture. Mais cette méthode, surtout répandue dans les pays africains, ne permet d’augmenter les rendements que sur le court terme. Sur les surfaces de forêt vierge défrichées, toute biodiversité est détruite et rendue impossible, les sols sont appauvris, asséchés et chargés de pesticides et d’engrais. Les cacaoyers qui, dans la forêt vierge, poussent à l’ombre naturelle des arbres les plus grands, doivent ici être irrigués de manière excessive dans des pays déjà pauvres en eau et sont constamment menacés par des maladies (voir photo). Les pluies inhabituellement fortes de l’année dernière au Ghana et en Côte d’Ivoire montrent clairement que ces monocultures bien trop fragiles n’ont pas la résistance nécessaire pour affronter les événements météorologiques violents et le changement climatique.
Le cas du Ghana
Un autre problème, dont peu de personnes ont connaissance chez nous, vient encore aggraver la situation au Ghana, le deuxième pays producteur de cacao au monde. Là-bas, la surface cultivée dédiée cacao s’amenuise rapidement en raison de l’orpaillage illégal et de la criminalité environnementale. Les circonstances sont dramatiques : des chercheurs d’or illégaux, appelés Galamsey, attaquent régulièrement les fermes pour pouvoir au plus vite fouiller le sol à la recherche du métal précieux si convoité. Pour ce faire, ils détruisent les arbres et contaminent les sols avec des produits chimiques comme le cyanure. Les producteurs de cacao assistent impuissants à la destruction de leur moyen de subsistance. Face à cette situation désespérée, certains vendent même volontairement leurs exploitations aux Galamsey. Les autorités locales sont également dépassées face à ces mineurs illégaux et à leurs gardes violents, ce qui fait que le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur. Il y a quatre ans déjà, une étude révélait qu’au moins 20.000 hectares de cacaoyers avaient été détruits par l’orpaillage illégal. Les chiffres actuels ne sont pas connus.
Selon certaines estimations, la surface cultivable en Afrique de l’Ouest va à l’avenir se réduire drastiquement en raison de l’orpaillage illégal, des maladies qui touchent les arbres et du changement climatique. Une étude estime qu’en Côte d’Ivoire, plus de 50 % des surfaces dédiées au cacao disparaîtront d’ici 2050. Le Ghana pourrait quant à lui perdre sa place de numéro 2 mondial au profit de l’Équateur dès 2027. Il est probable que cette tendance se confirme plus globalement et que la production mondiale de cacao s’éloigne des surfaces cultivées africaines trop épuisées pour se recentrer sur l’Amérique latine.
Les spéculateurs et les achats excessifs alimentent la crise
Alors que le prix du cacao avait déjà augmenté en raison de ces mauvaises conditions et des stocks restreints, la mise en place de stratégies défavorables au sein du marché du cacao en ce début d’année 2024 a engendré une flambée des prix qui a fait exploser un vase déjà bien fissuré.
D’une part, sous l’effet d’une forte émotion, un phénomène de stockage massif s’est mis en place, réduisant encore plus, même si de manière artificielle, la disponibilité de la matière première qu’est le cacao. C’était alors surtout les grands transformateurs de cacao et les fabricants de chocolat européens disposant d’énormes capacités de stockage qui ont commencé à remplir leurs entrepôts au maximum « pour les mauvais jours ». En Amérique latine, où les récoltes ont été bien moins mauvaises qu’en Afrique, on a entre autres fait appel à des méthodes telles que les achats en direct auprès des cultivateurs de cacao. Grâce à des prix temporairement attractifs, le cacao a été littéralement « prélevé à la source », ce qui a fait que les cultivateurs ont livré moins de cacao à leur coopérative que ce qui avait été contractuellement prévu. Les relations commerciales avec les transformateurs de cacao s’en trouvent alors menacées, car les contrats en vigueur ne sont pas respectés et que les acheteurs habituels ne reçoivent pas les volumes convenus au préalable. Les grands groupes européens qui se cachent derrière de telles tactiques sortent donc gagnants de cette situation tendue au niveau des prix.
D’autre part, les fonds d’investissement alternatifs et l’arrivée massive de spéculateurs à la bourse ont rendu la situation encore plus explosive et entraîné une hausse considérable du prix du cacao. Pour la plupart, ces derniers n’étaient pas des acteurs actifs du marché, mais des robots de trading pilotés par des algorithmes. Ils effectuaient des transactions automatiques et ultra-rapides et enchérissaient les uns contre les autres, faisant ainsi grimper le cours du cacao à des sommets vertigineux.
Le graphique illustre la hausse spectaculaire du prix du cacao au cours des deux dernières années (entre avril 2022 et mai 2024)
En conclusion : les prix du chocolat sont en hausse
La situation tragique dans le secteur de la culture du cacao a naturellement des répercussions sur les consommateurs. Le chocolat va-t-il vraiment coûter plus cher ? Notre directeur général Gerrit Wiezoreck ne le cache pas : « Les augmentations de prix sont inévitables. La question n’est pas tant de savoir « si » cela se produira, mais plutôt « dans quelle ampleur » et « quand ». Nous sommes une petite entreprise et contrairement aux grands acteurs du secteur, nous achetons notre cacao en petites quantités, et cela directement auprès de cultivateurs en République dominicaine. Nos possibilités de stockage sont limitées, ce pourquoi nous ne pouvons constituer de stocks que sur le court terme. Nous ne pourrons donc pas empêcher une augmentation prochaine des prix, quand bien même nous souhaiterions l’éviter. Mais ce qui est certain, c’est que d’autres entreprises et d’autres marques devront également s’y résoudre tôt ou tard ».
L’augmentation de la valeur du cacao est devenue inévitable et un retour en arrière ne devrait pas être possible dans un futur proche. Gerrit Wiezoreck a appris au travers de contacts sur place qu’en République dominicaine, les centres de distribution de cacao font régulièrement l’objet d’effractions et qu’il arrive que des acheteurs et même des agriculteurs soient attaqués et dépouillés de quelques sacs de ce nouvel or. En plus de ce problème lié à la hausse des prix, ces incidents révèlent également une autre et triste réalité liée aux événements actuels. Si le cacao des paysans dominicains est actuellement si précieux qu’il vient à être volé, celui des producteurs africains n’atteint des prix exorbitants que sur le marché mondial. Cela est dû à la politique de protection menée par les différents pays en faveur de leurs cultivateurs au travers de ce que l’on appelle le « prix Farmgate ». Fixé par chaque pays, c’est le prix minimum que toucheront les agriculteurs pour leurs fèves de cacao. En Afrique, seuls 20 % environ de l’augmentation actuelle des prix profite au final aux cultivateurs, alors qu’en République dominicaine, ce taux est de 80 % – une différence hallucinante.
Pour en savoir plus sur la crise du cacao, retrouvez ici l’interview détaillée de Gerrit Wiezoreck, directeur général d’EcoFinia (VIVANI).